Enseignante en maternelle, celle qui a grandi et vit à Pierrefitte, a participé cet été aux Jeux olympiques de Tokyo sous les couleurs de l’Algérie, son pays d’origine.
À QUELQUES JOURS de la rentrée scolaire, il y a ces milliers d’enseignants qui retrouvent peu à peu leurs écoles, partout en France, après des vacances bien méritées. Et puis, il y a Lamya Matoub, institutrice en école maternelle à Sarcelles (Val-d’Oise) et dont le visage apparaît encore en grand sur les panneaux publicitaires de sa commune, Pierrefitte. Des affiches qui témoignent de l’été peu ordinaire que vient de vivre cette enseignante de grande section. Au centre de l’image, elle apparaît souriante, gants de karaté bleus et kimono blanc : il y a moins de trois semaines, elle était l’une des dernières athlètes à entrer en lice aux Jeux olympiques, à Tokyo.
Ce sourire, il n’a pas quitté la championne de 29 ans qui défendait les couleurs de son pays d’origine, l’Algérie, malgré une élimination précoce et quelques regrets. Celle qui se « savait attendue », après avoir été médaillée de bronze aux Championnats du monde, en 2018, reconnaît être passée à côté de sa compétition.
« Je me voyais médaillée… »
« De toute façon, je fais mes perfs quand personne ne m’attend ! » s’exclame, fataliste, la championne qui nous reçoit dans son appartement familial.
« Est-ce que cela a joué ? Je ne sais pas, je n’arrive pas à l’expliquer, mais c’est comme si je n’avais pas été là. Généralement,
je me souviens de tout ce qui se passe sur un tatami. Cette fois, j’étais out. Je me souviens juste d’être rentrée dans la salle, la présentation des athlètes, puis plus rien. »
Sa discipline n’ayant pas été retenue pour les futurs Jeux à Paris, elle savait que Tokyo était une occasion unique de décrocher une médaille olympique.
« Je suis très frustrée car j’étais en pleine forme à l’entraînement et sincèrement, je me voyais médaillée, reconnaît-elle. Mais passer à côté, cela arrive dans la vie d’un sportif. C’était mon destin de me qualifier, mon destin de passer à côté. »
Elle gardera quand même un souvenir « incroyable » des Jeux. De Tokyo, elle se souviendra surtout de ce village des athlètes où elle a passé la quasi-totalité de son temps. « Je suis très casanière. Et ce qui m’a le plus impressionné, en fait, c’est le self ! » s’amuse-telle, parlant de ce lieu immense où l’on croise des champions de toutes les nationalités, ces « géants basketteurs » et où l’on peut manger « des spécialités du monde entier ».
Après son retour, elle a rapidement eu envie de « tourner la page », d’oublier cet échec, de s’essayer, pourquoi pas, à un nouveau sport sur son temps libre. Et surtout, de se concentrer sur son activité professionnelle qui la passionne. Enseignante remplaçante sur l’académie de Versailles, de 2018 à 2020, elle est désormais une titulaire à l’école Albert-Camus de Sarcelles.
«À mon retour de Tokyo, je suis tout de suite passée à autre chose, explique-t-elle. Je suis comme ça : je switche (NDLR : change) très facilement de l’un à l’autre. J’ai mis deux jours à comprendre que j’étais vraiment rentrée et que j’avais vraiment perdu (rires). Deux jours après mon retour, j’ai repris le travail pour ma classe. »
Une maîtresse « très, très exigeante »
De son métier, on sent qu’elle pourrait en parler pendant des heures. Quand elle n’est pas sur un tatami, l’instit y pense presque tout le temps. « Même en vacances, reconnaît-elle. À la plage, j’observe les enfants en train de se mouvoir, les parents qui font des activités et je me dis : Ah, ça, c’est hyper intéressant. Je pourrais le mettre en place, etc. Et il y a plein de choses de la vie de tous les jours dont je me sers pour mes élèves. »
Remplaçante, elle a eu plusieurs expériences en élémentaire, mais rien ne la passionne plus que de voir évoluer ses élèves de grande section de maternelle. « Quand je les entends me dire : Maîtresse, j’ai réussi ! Ça y est ! C’est quelque chose de fort, qui me touche beaucoup. » Elle se considère comme une maîtresse « très, très exigeante », rien d’un hasard avec son parcours de sportive de haut niveau. « Mais je sais que c’est la méthode pour stimuler vraiment les enfants et j’aime les voir évoluer.»
L’an dernier, pour sa première en tant que titulaire, il fallait rattraper les retards liés au confinement de l’année précédente. « On a bossé comme des malades, raconte-t-elle. De septembre à décembre, je ne les ai pas lâchés et en février, quasiment tous mes élèves savaient lire. Et ça vous rend vraiment très fier. » Ses élèves ont-ils conscience de son parcours de sportive de très haut niveau ? « Non, répond-elle. Ils ne savaient même pas ce qu’étaient les Jeux, j’ai dû leur expliquer. »
Ils n’ont d’ailleurs pas compris lorsqu’ils l’ont vue pleurer à grosses larmes, le jour où elle a appris sa sélection par SMS. « Il était 14 heures et on allait rentrer en classe sauf que je n’étais pas du tout en état. Ils me demandaient : Pourquoi tu pleures ? Il ne faut pas pleurer.
J’ai dû leur expliquer : Mais non, la maîtresse n’est pas triste. On a parlé des émotions. Pour eux, les pleurs c’est seulement de la tristesse alors que non, c’était des pleurs de joie. C’était un moment assez incroyable pour eux aussi. »
ANTHONY LIEURES • Le Parisien • © LP/AL