Hibat et Fereshteh Tabib, une vie à tisser des liens

Hibat Tabib

Comment apaiser la société ? Hibat et Fereshteh Tabib, une vie à tisser des liens

Remplacer la violence par la compréhension, trouver des solutions dans un climat social tendu… Voilà plus de 20 ans que les parents de l’humoriste Kheiron y travaillent en Seine-Saint-Denis, et bien au-delà.

Retrouvez l’article du Parisien de Christel Brigaudeau.

Le 6 février 2020 à 05h43

Quand il a constaté les dégâts, dans le centre social minutieusement cambriolé, cassé, tagué, le directeur a compris qu’il y avait comme un échec dans l’air. « Hibat nique ta mère : le message sur le mur était assez clair », sourit l’intéressé. Depuis cette anecdote, 25 ans se sont écoulés, autant de temps passé à chercher l’alchimie de la paix sociale.

Comment réconcilier les gens entre eux ? Créer un peu de compréhension en lieu et place de l’affrontement ? La question, de plus en plus centrale en France à mesure que se crispe le débat public, voilà plus de deux décennies qu’Hibat Tabib et son épouse, Fereshteh, la travaillent en Seine-Saint-Denis et au-delà.

Ils ont reçu moult distinctions pour cela. Mais c’est leur fils, l’humoriste et réalisateur Kheiron, qui leur a rendu le plus bel hommage. « Nous trois ou rien », comédie pleine de tendresse sortie en 2015, avec Kheiron dans le rôle de son propre père, et Leïla Bekhti dans celui de sa mère, raconte l’épopée de ce couple d’Iraniens, qui a fui en 1982 le régime des mollahs, leur bébé dans les bras, pour sauver Hibat, l’opposant communiste, d’une mort certaine.

« Pour chaque mot en français, il faut savoir si c’est masculin ou féminin, on ne va pas pouvoir rester ici ! » a pesté Fereshteh quelques semaines après leur arrivée à Paris, le 14 septembre 1984. Au bout d’un an, les jeunes mariés comprennent que le retour en Iran est une chimère, et décident de « construire une vie ici ». Ici : une cité HLM à Stains (Seine-Saint-Denis), le nord de la banlieue nord. L’avocat s’inscrit à la fac pour apprendre la langue, gagne sa croûte comme veilleur de nuit. Puis, rapidement, le couple s’insère dans le tissu associatif.

«Il faut donner sa place au dialogue»

Dans la cité des Poètes de Pierrefitte (Seine-Saint-Denis), l’une des plus dures à l’époque, Hibat devient directeur du centre social et multiplie sorties culturelles, ateliers pédagogiques… et échecs cuisants. Comprenant que « le lieu ne peut fonctionner que s’il se pose comme tiers dans les relations entre les habitants eux-mêmes, et entre les habitants et les institutions », il expérimente le concept, encore nouveau, de médiation. Une gageure dans un pays « qui a la culture du rapport de force, où au moindre problème, on a ce réflexe d’aller trouver soit le maire, soit le commissaire », remarque l’homme de droit.

Entre les jeunes et les gardiens d’immeubles, chiens et chats dans la cité ; entre le directeur de l’école et le maire de la ville, opposants politiques ; entre les musulmans pas d’accord entre eux, selon qu’ils viennent du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, sur la date à laquelle organiser la fête du Ramadan, Hibat tente une troisième voie : créer un espace neutre de dialogue entre les parties. « Transformer la violence en conflit, puis le conflit en dialogue », résume-t-il.

Hibat a fini par réussir : Pierrefitte s’est proclamée « ville médiation ». Puis son association d’accès au droit (Afpad) a essaimé en France, et aujourd’hui en Europe. A 70 ans passés, il croit dur comme fer à l’urgence de son combat pacifique. « Dans une société de plus en plus multiple, il n’est pas anormal que naissent dans les relations entre les gens des malentendus, des oppositions fortes, analyse-t-il. Face à cela, il faut donner sa place au dialogue. »

«Créer un sentiment de solidarité ne se décrète pas»

Fereshteh, infirmière de formation, a tracé cette voie avec les femmes des quartiers de Stains, et au passage, engrangé une solide expérience de ces petits riens qui font le vivre-ensemble. « Ce n’est pas en mettant du blanc à la place du jaune dans la cage d’escalier qu’on règle le malaise d’habiter dans un endroit difficile, confie-t-elle. On ne peut pas non plus dire à une association : Voici 50 000 euros et maintenant, faites vivre le quartier ! Créer un sentiment de solidarité ne se décrète pas ».

Le jour où les jeux d’enfant du petit parc, régulièrement vandalisés, ont fini par brûler, « ni les services de la mairie, dont je faisais partie, ni la police n’arrivaient à régler le problème, se souvient Fereshteh. Ce sont les mamans du quartier qui ont trouvé la solution. » A tour de rôle dans le square, pour créer de l’humain là où il n’y avait rien, elles ont proposé… des crêpes et du café.

Certes, les fauteurs de troubles n’ont fait que se déplacer. Mais les mères avaient trouvé un lieu et un lien. « Régler 60 ans de problèmes d’un quartier, personne ne le peut. Mais créer du bien-être, oui, et cela ne passe pas par un dossier administratif de demande de subvention, insiste Fereshteh. Ça passe par les gens. »

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